© Vincent Epplay-2014

Vincent Epplay : «Imaginer la mémoire de l’eau»

Artistes, Au programme

Musicien plasticien, Vincent Epplay propose des situations d’écoute. Artiste invité par Bande Originale, il a composé une pièce qui fait chanter les « fantômes sonores » du canal. Ce dimanche, il partage la croisière live avec un autre expérimentateur, Jac Berrocal.

 

Comment as-tu imaginé ta contribution pour SoundWays ?

Je suis parti des phénomènes sonores qui hantent l’environnement, dont on n’a pas la notion d’écoute directe, c’est-à-dire que l’on n’entend plus, mais qui sont bel et bien là. Emissions hertziennes, messages codés, space-numbers, voix fantômes, ce qu’on peut appeler les voix désincarnées. Elles véhiculent une charge émotionnelle qui se révèle dans un jeu d’inconscient. Je considère que les fantômes sont là pour nous aider. J’ai d’ailleurs inséré dans une bulle de son l’extrait d’un entretien entre l’actrice Pascale Ogier et le philosophe Jacques Derrida autour de la question des fantômes, que je trouve très éclairant. Six mois auparavant, j’avais travaillé avec un ami, à l’école d’architecture de Nantes, qui avait élaboré toute une recherche là-dessus. J’avais fait la mise en son et j’ai trouvé que c’était une matière riche, foisonnante.

 Comment as-tu ensuite réalisé ta pièce ?

J’ai très peu enregistré sur place. Cette zone urbaine — que je connais très bien, j’ai habité juste à côté pendant des années — ne m’inspirait pas pour des captations sonores. Il y a beaucoup de circulation, la présence humaine n’est pas spécialement intéressante. Du coup, je me suis plutôt orienté vers les profondeurs du canal. Il s’agit d’imaginer d’une manière allégorique, la mémoire de l’eau, avec l’idée du flux.

Mon travail est une interprétation pure, sur un rapport d’expérience sensible avec le son, d’une mémoire liée au contexte de l’environnement. Je retravaille ensuite mes captations sur ordinateur. J’interviens peu dans le traitement, je m’attache plutôt aux choix. A partir de cela, je crée des formes qui se lient et produisent une musique. Une musique qui n’est pas dictée par le phénomène des notes, par exemple, qui est plutôt liée à la notion de fréquence.

 De quelle manière es-tu arrivé dans Bande Originale ?

Je connais le collectif MU, et notamment Eric Daviron [programmateur musique de MU et de Bande Originale, ndlr] depuis longtemps. La sphère des gens qui pratiquent ou tournent autour de l’expérimentation sonore est petite, à Paris, on se côtoie vite. J’avais déjà fait un concert au Garage MU, il y a environ quatre ans, et une pièce pour European Sound Delta, en 2008 (je n’y étais pas allé mais ils m’avaient passé commande). C’est MU qui m’a contacté pour Bande Originale.

 Qu’est-ce qui t’a intéressé dans ce projet ?

Ce que j’aime bien dans ce genre de projets c’est la façon dont on opère des relations, des connexions entre des éléments qui n’ont pas forcément de lien direct entre eux. Le parcours sonore révèle des choses dont nous ne prenons plus conscience. Ce qui me fascine aussi, c’est la façon dont les gens s’extraient de l’environnement sonore ambiant.

 Quelle place occupe cette réalisation pour BO dans ton processus créatif ?

Dans ma carrière d’artiste, j’ai beaucoup travaillé sur le son dans l’espace urbain. J’ai créé des dispositifs autour de ça. Dispositifs, et pas installations, je tiens à le préciser. J’ai commencé à m’intéresser à ces notions dès le début des années 1980, même si ce n’est pas l’essentiel de mon œuvre. Je ne fais pas de l’« art sonore », je trouve cela réducteur. Je considère plutôt que je fais de la musique ayant différentes façons de se propager ou d’être potentiellement écoutée. L’idée de l’émission est très importante dans mon travail. Je suis dans un rapport de projection et d’émission, autant dans mes concerts que dans les dispositifs d’écoute que je mets en place.

Comment envisages-tu ton statut d’artiste ?

Je me considère comme musicien plasticien : je viens des arts plastiques, j’ai un rapport à la musique qui est issu de la plasticité. Dans le système artistique, un truc m’a longtemps emmerdé : les produits uniques, la propriété de l’œuvre. Je fais des choses uniques, dans leur essence, mais appropriables par les autres. Ce qui est important pour moi, c’est le partage de la création. C’est pourquoi la musique m’intéresse. Elle a une force supplémentaire par rapport aux autres arts : c’est un langage universel. Le phénomène de la musique peut être saisi, compris, appréhendé par n’importe qui dans le monde. C’est un rapport sensible à la vibration.

Vincent Epplay, « Spectrophonie », extrait de la pièce composée pour SoundWays, 2014 :

 

Son site : www.viplayland.net.

Application SoundWays à télécharger ici.

—> le dimanche 27 juillet, croisière live avec Vincent Epplay et Jac Berrocal (en surimpression sur la photographie de Vincent Epplay ci-dessus). Départ : 6 quai de la Seine (Paris). 20h30, 12 euros. Accès : métro ligne 2 ou 5, arrêt Jaurès, Stalingrad.

 

Interview : Marie Fantozzi ; photo : Vincent Epplay-2014.

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Le 25 juillet 2014
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